Spectateurs turbulents

Bonjour,
J’enseigne le français au lycée, et je souhaiterais qu’on m’indique des références – précises – de textes – accessibles – (c’est beaucoup demander…) à propos de l’attitude des spectateurs face à ce qui est joué sur scène.
Je recherche des témoignages d’époque sur le brouhaha au 17e siècle, le comportement des bourgeois sur scène, la naissance de la claque, etc.
Je cherche aussi des anecdotes, comme celle (dont je ne retrouve plus la source) où Stendhal, si j’ai bonne mémoire, parle d’un soldat qui aurait tiré un coup de fusil pour empêcher l’acteur qui joue Othello de tuer Desdemona.
J’aimerais aussi avoir des pistes pour tout ce qui concerne les tentatives de sortir du cadre du théâtre à l’italienne et de faire participer les spectateurs (vaste sujet).
Question subsidiaire : à partir de quand (et pourquoi) le public de théâtre est-il devenu docile, muet ?
D’avance merci.
Vincent A.

En ce qui concerne l’anecdote du soldat de Baltimore rapportée par Stendhal, elle figure dans Racine et Shakespeare (chap 1). Pour la question subsidiaire, un élément de réponse serait peut-être à chercher du côté de la grande trouvaille d’Antoine : plonger la salle dans l’obscurité en laissant la scène éclairée.
Cordialement
Marc V.

Si ma mémoire est bonne, vous trouverez dans la biographie de Molière par R. Duchêne, chez Fayard (que vous trouverez en librairie) au moins deux choses concernant la violence des spectateurs au XVIIe:
– une anecdote un peu à la marge de votre question: le portier du théâtre se serait fait casser la figure par un spectateur qui ne voulait pas payer.
– un événement très important, dont on doit aussi parler ailleurs: l’interdiction du port d’armes dans les salles de spectacle.
Cordialement,
Jean de G.

La scène où les spectateurs essaient d’empêcher l’acteur qui joue Othello de tuer Desdemona a également été reprise par Pasolini dans un de ses premiers films qui s’intitule “Che cosa sono le nuvole?”.
Bien à vous,
Marco B.

Dans Théâtre et Lumières (Les spectacles de Paris au XV!!!e siècle) Fayard 2001, Maurice Lever traite de «la démocratie du parterre (pages 25 à 30) et cite plusieurs écrits du temps qui racontent des anecdotes d’auteurs tels: Marmontel, la Harpe, Restif de la Bretonne etc…
Vous pourriez aussi chercher du coté de Richard Wagner qui le premier à utiliser l’obscurité dans la salle; le journal intime de Cosima Wagner est maintenant disponible.
Bien à vous,
Renée N.

Une bonne partie des réponses aux questions posées concernant l’attitude des spectateurs au 17e s. se trouve dans l’article de Christian Biet, “L’avenir des illusions, ou le théâtre et l’illusion perdue”, pp.175-214 de la revue Littératures classiques, n° 44, hiver 2002, consacré à “L’illusion au 17e siècle”
G. Forestier

Bonjour,
1/ A propos de l’attitude des spectateurs face à ce qui est joué sur scène:
– la première partie du livre d’Yvon Belaval “L’esthétique sans paradoxe de Diderot” , NRF, 1950 : Diderot au théâtre.
– et pour le 17 ème, dans “La dramaturgie classique en France” de Jacques Scherer (Nizet, 1986) la troisième partie : l’adaptation de la pièce au public.p367
2/ En ce qui concerne la claque, c’est Néron qui l’aurait instituée :
cf. Bernard Dort, La pratique du spectateur 7, Le dernier moment (Cahiers de la Comédie-Française n°9, automne 1993, p 121)
3/ Pour la participation du spectateur, on peut aller voir du coté du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal
Enfin pour votre question subsidiaire, je ne pense pas que les spectateurs soient devenus dociles après cela, mais un moment important en France aura sans doute été la décision royale de faire intervenir la troupe afin de séparer la scène de la salle et d’empêcher les nobles d’assister aux représentations en se promenant entre les comédiens. Peut-être faut-il effectivement attendre Antoine et le noir de la salle ?
Cordialement
Dimitri W.

Bonsoir,
Dans son Apologie du théâtre (Courbé, 1639), Georges de Scudéry divise le public en trois catégories: “sçavans, preocupez, & ignorans” et subdivise cette dernière catégorie “en ignorans des Galleries, & en ignorans du Parterre,” (p. 89). Selon Scudéry, c’est uniquement cette dernière catégorie, “cet animal à tant de testes & à tant d’opinions, qu’on appelle Peuple” (p. 97), qui perturbe le bon déroulement du spectacle. Si la chose était avérée, il conviendrait peut-être d’imputer une partie de l’assagissement (ou de l’assoupissement) du public à la désaffection de ce “peuple” que le théâtre ne parvient plus guère à intéresser…
Eugène Despois, dans Le théâtre français sous Louis XIV (Hachette, 1874), fait état de plusieurs incidents qui perturbèrent, voire annulèrent le spectacle, comme, par exemple, le jour où le marquis de Livry ne trouve rien de mieux que d’installer avec lui sur le théâtre son chien danois, ou encore les mousquetaires qui prétendent entrer sans payer et, une fois à l’intérieur, se mettent à taper sur une bassinoire… Mais que fait donc la police??
Comme le suggère Christian Biet dans «Le théâtre et l’illusion perdue» , évoqué précédemment par G. Forestier, c’est en ignorant superbement les réalités contraignantes de ce lieu de sociabilité qu’est le théâtre que les “doctes” théorisèrent l’illusion mimétique. Confronté aux aléas d’une salle aux limites incertaines et poreuses, qui donne à voir autant qu’elle se donne à voir, le système théorique fondé sur la perspective «explose littéralement et s’ordonne sur une vision circulaire» (185).
J.-Cl. Vuillemin

Kaixo!
Vous parlez de décision royale de faire intervenir la trupe, pouvez vous m’indiquer la période?
Milesker
Ixabel

Bonjour,
Les réactions de la salle sont aussi en rapport avec l’histoire du jeu de l’acteur et de sa force d’empathie – à distinguer du processus d’identification: l’exemple le plus parlant reste le Grand-Guignol, sous-genre dans lequel il s’agit de communiquer le “fluide” ( terme employé par Chimier, par Maxa et par tous les acteurs du genre pour désigner la relation acteur-spectateur). Le public n’est pas passif : il rue, sue, bêle, appelle au secours, réagit avec son corps. Alexandre Dumas s’exprimait dans ces termes concernant le jeu de Marie Dorval qui jouait dans Antony, et l’on pourrait facilement appliquer ces propos à l’acteur de Grand-Guignol:
“Elle fait oublier l’illusion à force d’illusion, [.] ne laisse pas respirer un instant le spectateur, l’effraie de ses craintes, le fait souffrir de ses douleurs et lui brise l’âme de ses cris, au point qu’elle entende dire autour d’elle : Oh ! grâce , grâce, c’est trop vrai !”
“C’est trop vrai!”: Nous ne connaissons plus ce genre de rapport scène/salle. Le Grand Guignol s’éteint définitivement au moment de la naissance du théâtre épique et de la distance qu’il implique.
Bonne année…
Isabelle B.

Bonjour,
C’est en 1672 et 1673, à la suite de l’agression à l’Opéra d’un Procureur du roi, que Louis XIV publie les deux premières ordonnances destinées à assurer la sécurité au théâtre. Elles ne sont guère suivies d’effets.
En 1697, le lieutenant de Police d’Argenson mettra en place une véritable police des théâtres et veillera non seulement à la sécurité des spectateurs et comédiens, mais imposera le silence et contrôlera le répertoire.
Cependant, ce n’est que le 30 avril 1759 que le Comte de Lauraguais libérera le plateau des nobles en rachetant les banquettes et ce n’est qu’en 1782 que le turbulent public du parterre sera assis.
Vers 1758, Diderot regrette cette évolution :
“ Il y a quinze ans que nos théâtres étaient des lieux de tumulte. Les têtes les plus froides s’échauffaient en y entrant, et les hommes sensés y partageaient plus ou moins le transport des fous. (…) On s’agitait, on se remuait, on se poussait, l’âme était mise hors d’elle-même. Or, je ne connais pas de disposition plus favorable au poète. (…) Aujourd’hui, on arrive froids, et je ne sais où l’on va. Ces fusiliers insolents préposés à droite et à gauche pour tempérer les transports de mon admiration, de ma sensibilité et de ma joie et qui font de nos théâtres des endroits plus tranquilles et plus décents que nos temples, me choquent singulièrement. ”
Cordialement
Dimitri W.

J’ai écrit sur les spectateurs turbulents dans le parterre parisien au XVIIe-XVIIIe siècle, d’après des archives policières, dans mon livre: The Contested Parterre. Public Theater and French Political Culture, 1680-1791. (Ithaca et Londres, presse universitaire de Cornell, 1999). Il y a aussi un article en français qui résume une partie du livre: “Le Théatre et ses publics. Pratiques et représentations du parterre au XVIIIe siècle” Revue d’histoire moderne et contemporaine 49-3 (juillet-septembre 2002), p. 89-118. Là vous pouvez trouver des citations et d’autres renseignements.
Jeffrey R.